Grande Virée au Saguenay-Lac-Saint-Jean
25 juin 2023
Notre Dame du Saguenay, la Vierge du cap Trinité
Je me fais plaisir aujourd’hui en vous amenant sur le terrain de l’histoire régionale, en commençant par les nombreuses péripéties qu’a suscitées l’érection de la fameuse statue de la Vierge du Cap-Trinité.
Chaque hiver, Charles-Napoléon Robitaille, voyageur de commerce pour la maison P. Garneau & Frères de Québec, prenait la route du Saguenay avec ses tissus, ses sirops, ses outils et tout ce qui pouvait être indispensable aux familles qui vivaient isolées le long du fjord. Celui qu’on appelait « le peddler », suivait alors le chemin d’hiver entre Baie-Saint-Paul, dans la région de Charlevoix, et la Baie des Ha! Ha! pour se lancer ensuite sur le pont de glace balisé du Saguenay et rendre visite aux familles qui vivaient en bordure de la rivière. Il était un pionnier chez les marchands itinérants. L’un des premiers à s’aventurer sur cette route hasardeuse qui lui valut un jour de voir la mort de très près.
Nous sommes en 1878 et Charles-Napoléon Robitaille glisse lentement sur la surface durcie de neige et de glace de la rivière Saguenay. Comme d’habitude, il fait confiance à sa bonne jument canadienne dont les grelots tintent dans le froid alors que lui s’est réfugié sous les peaux et les couvertures, les pieds bien à plat sur des briques chaudes. Le parcours n’est pas vraiment dangereux, mais il arrive que la glace s’ouvre sous l’effet des marées, ce qui oblige à une vigilance constante.
Mais, ce qui devait survenir arriva. En un instant, les clochettes se mirent à vibrer nerveusement et un grand hennissement résonna entre les caps avant que les eaux glaciales n’engloutissent le cheval, la carriole et le vendeur.
Charles-Napoléon Robitaille ne s’en est sorti que par miracle. Il n’y a pas d’autre explication. Sans la promesse faite à la Vierge de l’honorer jusqu’à la fin des temps, le vendeur itinérant ne se serait jamais tiré hors des eaux froides et n’aurait certainement pas survécu à la consomption qui le cloua au lit et lui valut les derniers sacrements.
Une fois rétabli, Robitaille chercha ce que pourrait être ce « quelque chose d’important » qu’il avait promis à Marie. Mgr Racine, évêque de Chicoutimi, vint l’inspirer en lui proposant son propre rêve… une statue colossale sur le gigantesque cap Trinité que tant de touristes viennent déjà admirer à bord des bateaux de croisières. Une souscription populaire aida à amasser les fonds et le promoteur dû puiser la somme de 1 750 $ dans ses poches pour arriver à payer la l’œuvre qui avait été commandée à un grand sculpteur québécois : Louis Jobin.
La création de l’artiste réputé fut exécutée dans trois blocs de pin de 450 kg chacun, mesurant 2,5 mètres de hauteur, 2,75 mètres de largeur et 1,2 mètre d’épaisseur. Une fois achevée, Notre Dame de l’Immaculée Conception faisait plus de huit mètres de hauteur. Elle fut entièrement recouverte de plomb, ce qui porta son poids à 3175 kg.
La statue n’était cependant pas encore sur son socle, sur le premier palier du cap Trinité, à 180 mètres du niveau de la mer ! Le 1er avril 1881, le dévoilement se déroule à Québec, puis le vapeur Union prend la sculpture à son bord jusqu’à L’Anse-Saint-Jean. Après son transbordement, elle tombe à l’eau ! Ne pouvant plus la remettre à bord, deux valeureux rameurs la remorquent jusqu’au pied du cap. Les difficultés ne faisaient que commencer. Hisser d’un bloc la statue jusqu’au sommet s’avéra impossible. Il fallut se résoudre en enlever l’enveloppe de plomb et à la découper en 14 morceaux. Chacun d’eux fut monté en 22 étapes à l’aide d’une glissoire de bois et d’un palan. Les travaux s’étalèrent sur huit jours.
À partir du moment où la Vierge trôna sur son piédestal, elle changea quelques fois de vocable devenant la Madone du Saguenay, puis Marie Immaculée, Notre Dame du cap Trinité et, finalement, Notre-Dame du Saguenay. Toutefois, pour plusieurs, elle demeure simplement la Vierge.
En 1981, la statue a célébré son centenaire puis ses 125 ans en 2006 et, malgré son grand âge, elle reste plus populaire que jamais. Des milliers de marcheurs allant la voir de près chaque été en empruntant le sentier pédestre qui mène à ses pieds. Tous les grands bateaux de croisière qui naviguent sur le Saint-Laurent viennent également la saluer depuis 1881 et s’arrêtent à ses pieds en entonnant l’Ave Maria. Durant des décennies, un ténor montait à bord spécifiquement pour ce moment unanimement attendu.
Depuis 1965, elle est classée monument historique par le ministère des Affaires culturelles du Québec.
Un Royaume impénétrable…
Le Saguenay est l’incarnation vivante d’une nature aussi généreuse qu’austère et de grands espaces qui échappent aux horizons. Sur ce territoire peu peuplé, des centaines de lacs isolés portent l’écho du chant du huart. Des rivières légendaires se déversent du Grand-Nord, franchissent des forêts impénétrables, abritent la truite, le brochet et le roi saumon, abreuvent l’ours, l’orignal et le loup, dévalent jusque dans une mer douce située au cœur des terres et se perdent dans les fonds insondables d’un des plus grands fjords du monde.
Le petit rorqual ou le bélouga, les grands caps vertigineux, les paysages renversants, les couchers de soleil bouleversants, la paix profonde de la forêt, le rapide qui descend en trombe et le sentiment de liberté intense que ces éléments réunis nous procurent… le Saguenay nous les offre à portée de main ! Bien plus qu’une simple région, c’est là un Royaume fabuleux qui mystifie tous ses visiteurs depuis Jacques Cartier. « Il n’est point de région sur laquelle il ait plus anxieusement interrogé », affirme le chanoine Lionel Groulx.
Lors de son premier voyage au Canada, Cartier avait littéralement enlevé deux Iroquois afin de les présenter comme preuve de ses dires devant la Cour de France. Dom Agaya et Taignoamy, les fils du chef Donnacona, ont décrit aux notables ébahis une terre couverte d’une « grande quantité d’or et de cuivre rouge ».
Royaume
Mandaté par un régime royaliste, l’explorateur n’hésite pas à reconnaitre et à utiliser ce substantif qu’on appliquait régulièrement aux circonscriptions que les états coloniaux s’appropriaient. Même François 1er, qui n’avait jamais vu le Saguenay, ne douta pas qu’il s’agisse d’un véritable royaume à l’européenne et y envoya en 1541 son lieutenant-général de France au Canada et commandant de la troisième expédition de Jacques-Cartier, Jean-François de La Rocque, sieur de Roberval, afin «d’assaillir villes, châteaux forts et habitations» !
Des richesses inaccessibles
Ce royaume devait receler des richesses fabuleuses qui en ont fait fantasmer plus d’un à l’époque. Sur le Mont-Royal, Donnacona touche le sifflet d’argent et le manche en laiton du poignard de Cartier en montrant la direction d’où provenait ce métal. « Il (Donnacona) a certifié avoir été à la terre du Saguenay, où il y a infinis or, rubis et autres richesses, et où les hommes sont blancs, comme en France, et accoutrés de draps de laine », écrit Cartier qui a justement comme mandat de trouver des richesses qui puissent contribuer à soutenir financièrement le roi de France, François Ier, dans ses conflits contre d’autres royaumes d’Europe. L’explorateur va jusqu’à noter sur une carte qu’il trace : « Par le peuple du Canada et Hochelaga, il est dit : que c’est ici où est la Terre du Saguenay; laquelle est riche et abondante en pierres précieuses ».
D’ailleurs, Sa Majesté était persuadée d’avoir enfin fait main basse sur son Eldorado, sur son Pérou, comme le rapporte l’espion portugais João Fernando Lagarto à qui le roi confia : « […] il y a une grande ville nommée Sagana où se trouve grande quantité de mines d’or et d’argent. Les habitants sont vêtus et chaussés comme nous […] ».
François 1er n’hésite donc pas à dépêcher une seconde fois « son cher et bienaimé Jacques Cartier… jusques en la terre de Saguenay. » Malheureusement, l’entrée du royaume mystérieux lui demeurera interdite et à tous ceux qui tenteront de franchir son seuil jusqu’à Champlain, au siècle suivant.