La non-traversée
16 novembre 2025
Alors que, dans mon billet précédent, j’avais prévu pour aujourd’hui de vous informer de ma traversée de la frontière, je me suis vu contraint à reporter ce récit. Ayant récemment subi une intervention chirurgicale pour un cancer de la peau, mon chirurgien m’a imposé une séquence de visites pour suivre de près l’évolution de ma guérison. Mardi matin, ce que je souhaite être mon dernier rendez-vous pourrait donc me libérer de ce suivi et effacer de mon dossier une « condition médicale pré-existante » pouvant servir à mon assureur de prétexte pour se soustraire a ses obligations.
En conséquence, pour remplacer la description de cette aventure frontalière qui n’a pas encore eu lieu, j’ai trouvé mon sujet du jour dans le courriel qui suit, adressé par Daniel B, de Longueuil, un fidèle lecteur de longue date, mieux connu par l’avatar de Campignol, nom donné à son véhicule récréatif.
Ayant trouvé pertinente la question qu’il soulevait, je l’ai contacté pour requérir son autorisation de vous rapporter ses propos tout en le nommant, ce qu’il a promptement accepté. Pour mieux vous placer dans le sujet, je débute par son commentaire, suivi de ma réponse.
Bonjour M.Laquerre,
J’espère que vous allez bien. Je suis un lecteur assidu de votre blogue. J’aurais pu écrire un commentaire directement sur celui-ci, mais je souhaite m’éviter des réactions désagréables, d’autant plus que je ne veux aucunement m’engager dans une polémique, autant avec vous qu’avec d’autres lecteurs.
Nous sommes propriétaires d’un Roadtrek, lequel est d’ailleurs notre 3e VR. Depuis des années, nous allions aux États-Unis et nous avons visité l’est et l’ouest. Nous avons toujours apprécié nos séjours, mais, depuis l’an dernier, c’est terminé. Nous avons de plus renoncé à notre séjour annuel à Cape May, ce qui nous a attristés, mais que voulez-vous, il serait contraire à nos valeurs de continuer à y aller.
Il est hors de question de dépenser quelque montant que ce soit dans ce pays, qui met à mal notre économie, cause des pertes d’emplois à plusieurs de nos concitoyens. Vous me répondrez comme plusieurs, que les Américains sont gentils pour la plupart (c’est vrai), qu’ils s’excusent bien souvent des décisions de leur président (c’est également exact), mais là n’est pas le point. Nous refusons de soutenir leur économie en dépensant ne serait-ce qu’un infime montant d’argent.
Ce sont nos valeurs et, plutôt que de nous placer en porte à faux vis-à-vis celles-ci, nous préférons nous priver d’y aller avec notre Campignol. Nous irons plutôt passer quelques semaines en République dominicaine.
Bon séjour malgré tout.
Daniel B. (Campignol)
Daniel,
Je suis en parfait accord avec les valeurs que vous défendez et qui justifient de ne plus vous rendre aux États-Unis. Il est vrai également que d’aborder un tel sujet sur une tribune médiatique quelconque pourrait engendrer un débat soumis à de multiples risques de dérive ou d’excès.
De nos jours, et ce, depuis la covid, nous assistons à l’émergence de commentaires de plus en plus polarisés qui, si ce mouvement continue, pourrait justifier que le mot « nuance » soit rayé du dictionnaire tellement il aurait perdu toute signification. Pourtant…
Oui, je partirai sous peu pour les États-Unis, mais, je l’avoue, avec un pied sur l’accélérateur et l’autre sur la pédale de freinage. Sensibles aux appels de nos gouvernements à réduire notre dépendance et nos encouragements d’un régime politique qui ne cesse de nous intimider, Michelle et moi avons beaucoup hésité et discuté avant de prendre cette décision.
Pour ma part, un des éléments majeurs ayant pesé dans la balance fut la responsabilité que j’assume à Camping Caravaning. Ce magazine a comme a entre autres comme mission d’informer les caravaniers de ce qui se passe dans le monde du VR et de leur suggérer des itinéraires et des endroits intéressants à visiter.
Or, un jour prochain, je l’espère, l’inutile guerre commerciale qui sévit devra connaître son armistice et certains politiciens perdre leur pouvoir. À ce moment, une perspective plus douce permettra à la frontière de retrouver son accueil d’antan, pour le plus grand plaisir des voyageurs, dont vous-même.
Il est donc essentiel de conserver quelques ponts ouverts afin qu’au jour de la libération, Camping Caravaning ne se retrouve pas en pénurie d’articles. Quand ce moment viendra, l’appétit de nos lecteurs sera grand et nous devrons rapidement leur proposer un menu intéressant. Il nous faut donc continuer à engranger des destinations de voyages, des présentations de terrains de camping ou d’attractions à visiter.
L’actuelle guerre commerciale ne signifie pas pour autant que toutes les relations commerciales interpays doivent absolument être complètement abolies, bien au contraire. Les économies étasuniennes et canadiennes sont trop tissées serrées pour justifier une fermeture absolue.
L’industrie touristique fait, elle aussi, partie de cette globalité bifrontalière. Que, dans une certaine mesure, on puisse témoigner notre mécontentement afin de créer une pression pouvant mener à une résolution du conflit, j’en suis évidemment, mais il faut garder à l’esprit qu’un après viendra et qu’il faut s’en soucier.
Permettez-moi à cet égard de me servir d’un exemple précis. Depuis des années, l’agence de voyages de la Fédération québécoise de camping et de caravaning organise des circuits caravanes aux États-Unis. Périples hivernaux, circuits culturels, visites des grands parcs nationaux et autres attractions, lieux historiques ou mythiques, la liste est longue. La popularité de ces circuits-caravanes démontre combien ce produit touristique est apprécié et demandé par nos compatriotes.
Or, le repérage, le développement et la mise en place d’une structure logistique et organisationnelle représentent des années d’un travail colossal. Je ne fais pas seulement référence aux efforts mis à créer des itinéraires répondant aux désirs de voyager des gens de chez nous, mais aussi à tous les liens qu’il fut nécessaire de tisser avec des ressources d’hébergement, des gestionnaires des lieux à visiter, les partenariats à établir, les ententes à négocier, les autorisations à obtenir.
Je suis conscient qu’une certaine grogne s’est manifestée chez des caravaniers outrés de voir que, même l’été dernier, des circuits caravanes furent réalisés. Certains même criaient à la trahison et taxaient l’agence de voyages de la FQCC de nager à contre-courant dans la vague de boycottage encouragée par nos gouvernements.
Malheureusement, ces voyages avaient été concoctés bien avant l’imprévisible guerre commerciale. Une préparation qui impliquait de nombreux contrats (hébergement, droits d’accès, réservations de restaurants, de salles…) d’ententes et de protocoles déjà signés. Y renoncer aurait entraîné des pertes financières énormes pour l’agence de voyages, mais surtout une déception incommensurable pour les caravaniers lésés de voir disparaitre un projet dont ils rêvaient souvent depuis longtemps et qu’aucune compensation financière aurait réussie à effacer.
Balayer du revers de la main autant de persévérance et d’efforts pour cause de la futile guerre commerciale qui sévit actuellement équivaudrait aussi mettre fin et à jeter à la poubelle des années d’un travail précieux. À la fin de cette guerre stupide, il faudrait donc tout reconstruire et rétablir les relations avec ces collaborateurs et organisations partenaires de longue date qui, eux pourraient garder en mémoire une méfiance, voire même une rancœur d’avoir été reniés. Une récupération d’autant plus difficile que, durant l’interruption, d’autres agences de voyages touristiques auraient pu s’insérer dans l’espace laissé pour vacant et prendre notre place pour longtemps.
Les considérations que je viens d’énoncer font rarement la manchette des médias qui, accordant peu d’importance à ce qui se passe dans la cuisine, n’hésitent pas à critiquer des mets servis qui ne répondent pas aux gouts du moment.
En conclusion, si je me définissais uniquement comme un touriste quidam, il est certain qu’en bon citoyen, dans la situation actuelle et pour longtemps, je tirerais un trait sur mes voyages aux États-Unis. Mais, je dois me soucier de l’après-tempête et préserver la pérennité de notre capacité à répondre aux attentes et besoins de nos compatriotes caravaniers.
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